Page:Œuvres de Schiller, Poésies, 1859.djvu/246

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pas a ton bonheur, » Reprend-il avec un regard inquiet. « Songes-y, c’est sur les flots perfides — Qu’aisément l’orage la pourrait briser ! — Que vogue la fortune incertaine de ta flotte. »

Et avant qu’il ait achevé ces mots, L’interrompent les joyeuses acclamations Qui s’élèvent de la rade. Richement char­gés des trésors de l’étranger, Reviennent aux rivages de la patrie Ses navires, épaisse forêt de mâts,

L’hôte royal est stupéfait : « Ta Fortune aujourd’hui est de bonne humeur, Mais crains son inconstance. Les bandes aguerries des Crétois Te menacent des dangers de la guerre ; Déjà elles approchent de ces bords. »

Et cette parole n’était pas échappée de ses lèvres, Qu’on voit des flots d’hommes affluer des vaisseaux, Et mille voix crient : « Victoire ! Nous sommes délivrés de la crainte de l’ennemi, La tempête a dispersé les Cretois, La guerre est loin, la guerre est finie ! »

L’hôte entend ces cris avec terreur. « En vérité, il faut que je t’estime heureux ! Pourtant, » dit-il, « je tremble pour ton salut. La jalousie des dieux m’épouvante ; Jamais les joies de la vie N’échurent sans mélange à aucun mortel. »

« À moi aussi tout a réussi, Dans tous les actes de mon régne La faveur du ciel m’accompagne ; Cependant, j’avais un héritier chéri, Dieu me l’a pris, je l’ai vu mourir, À la Fortune j’ai payé ma dette.

« Ainsi, veux-tu te garantir de l’adversité, Supplie les maîtres invisibles De mêler la souffrance au bonheur. Jamais encore je n’ai vu finir dans la joie l’homme, Sur qui toujours à pleines mains Les dieux répandent leurs dons.

« Et si les dieux refusent de l’exaucer, Ne méprise pas le conseil d’un ami, Et appelle toi-même le malheur ; Et prends dans tes