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Page:Œuvres de Schiller, Poésies, 1859.djvu/275

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LE CHANT DE LA CLOCHE. 245

adressez au ciel quelque formule pieuse... Faites sauter la bonde ! Dieu garde la maison !... Et fumantes, de brunes vagues de feu se précipitent dans la courbure de l’anse.

Bienfaisante est la puissance du feu, quand l’homme la dompte, la surveille, et ce qu’il forme, ce qu’il crée, il le doit à cette force céleste ; mais la céleste force devient terrible, quand elle se dégage de sa chaîne, èt s’élance, libre fille de la nature, par sa propre voie. Malheur quand, déchaînée, grandissant sans obstacle, elle roule à travers les rues populeuses l’immense incendie ! C’est que les éléments haïssent ce qu’a formé la main de l’homme. La nue est une source de bénédiction, c’est de son sein que ruisselle la pluie ; mais de la nue aussi jaillit au hasard le trait de la foudre. Entendez-vous ces sons lamentables du haut de la tour ? C’est le tocsin ! Le ciel est rouge comme du sang : ce ne sont pas là les feux de l’aurore ! Quel tumulte le long des rues ! La fumée s’élève en tourbillons, la colonne de feu monte pétillante. Par la longue avenue, l’incendie croît aussi prompt que le vent : l’air brûle et bout comme s’il sortait de la gueule d’une fournaise ; les poutres craquent, les poteaux s’écroulent, les fenêtres éclatent ; les enfants pleurent, les mères vont éperdues, le bétail gémit sous les ruines ; tout court, sauve son bien, fuit. La nuit brille aussi claire que le jour. A l’envi, par la longue chaîne des mains, le seau vole ; les pompes, en jets recourbés, lancent dans les airs leurs flots d’eau. Voilà l’ouragan qui vient et vole en hurlant ; il mugit, cherchant la flamme. Elle tombe, pétillante, sur les récoltes sèches, dans les vastes greniers, sur les poutres arides des chevrons, et, comme si elle voulait, de son souffle, entraîner avec elle la masse de la terre dans son impétueux essor, elle monte vers les hauteurs des cieux , grande comme un géant ! Désespéré, l’homme cède à la puissance divine et voit, inerte et stupéfait, périr ses travaux.

La place est vide, ravagée, et désormais l’affreux repaire des fougueux orages. Par les fenêtres, antres vides où l’horreur habite, les nuages du ciel regardent d’en haut.

L’homme jette encore en arrière un regard sur le tombeau de son avoir... puis saisit résolument son bâton de voyage. Quoi que lui ai ravi la fureur du feu, une douce consolation