Page:Œuvres de Schiller, Poésies, 1859.djvu/352

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trompeuse ? Il faut que je voie la vérité nue : oui, quand tout mon ciel devrait s’évanouir avec mon illusion, quand mon es prit libre, qu’un vol sublime emportait dans les champs infinis du possible, devrait tomber dans les chaînes sévères du présent. Il apprendra à se vaincre lui-même ; l’ordre sacré du devoir, l’arrêt terrible de la nécessité ne le trouveront que plus soumis. Celui qui craint même le doux empire de la vérité, comment supportera-t-il la nécessité ? »

Ainsi tu t’écries, mon austère ami ; et, du port assuré de l’expérience, tu jettes un regard réprobateur sur tout ce qui n’est qu’apparence. Effrayée par ta sérieuse parole, la troupe des dieux d’amour s’enfuit, les chants des Muses se taisent, les danses des Heures s’arrêtent ; les déesses sœurs, les Grâces, dans un deuil muet, retirent leurs couronnes de leurs beaux cheveux bouclés ; Apollon brise sa lyre d’or, et Hermès sa baguette merveilleuse ; le voile rose du songe tombe du pâle visage de la vie ; le monde paraît ce qu’il est, un tombeau ; le fils de Cythérée ôte de ses yeux le bandeau magique ; l’amour voit, il voit dans le divin enfant de Vénus un simple mortel, s’épouvante et fuit ; la jeune image de la beauté vieillit ; sur tes lèvres même, le baiser d’amour se glace, et, dans l’élan de la joie, tu t’arrêtes soudain, pétrifié.


L’IMAGE VOILÉE DE SAÏS[1]


Un jeune homme, que la soif ardente de savoir poussa à Saïs en Egypte, pour apprendre la sagesse secrète des prêtres, avait déjà franchi maint degré, grâce à la promptitude de son esprit ; toujours son désir de connaître l’entraînait plus loin, et le

  1. Cette parabole a été publiée dans les Heures de 1795.