Page:Œuvres de Schiller, Poésies, 1859.djvu/353

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hiérophante avait peine à calmer l’impatience de ses aspirations. « Qu’ai-je, si je n’ai tout ? disait le jeune homme ; y a-t-il ici du plus et du moins ? ta vérité n’est-elle, comme le bonheur des sens, qu’une somme que l’on peut posséder, plus grande ou plus petite, mais qu’enfin toujours l’on possède ? n’est-elle pas une, indivisible ? enlève un son à un accord, enlève une couleur à l’arc-en-ciel, et tout ce qui te reste n’est rien, tant que le bel ensemble des couleurs et des sons est incomplet. »

Comme un jour ils parlaient ainsi, ils s’arrêtèrent dans une rotonde solitaire, où une image voilée d’une grandeur colossale frappa les yeux du jeune homme. Surpris, il regarde son guide et dit : « Qu’est-ce, ce qui se cache derrière ce voile ? — la vérité, est la réponse. — Comment ? s’écrie-t-il, à la vérité, à elle seule j’aspire, et c’est justement ce que l’on me cache ?

— Il faut t’en prendre à la déesse, répartit le hiérophante. Que nul mortel, dit-elle, n’écarte ce voile que je ne le lève moi-même. Et qui, d’une main profane et coupable, ce voile saint, ce voile interdit, le lèvera plus tôt, celui-là, dit la déesse… — Eh bien ? — Celui-là verra la vérité. — Étrange oracle ! Toi-même, tu ne l’as donc jamais levé ? — Moi ? vraiment non ! et jamais je n’en fus tenté. — Voilà ce que je ne puis comprendre. Si de la vérité ce mince obstacle me séparait seul… — Et une loi, coupa le guide. Il est plus lourd, mon fils, que tu ne le crois ce velours délié — pour ta main léger, certes, mais un poids pour ta conscience. »

Le jeune homme revint tout pensif à sa demeure ; l’ardente passion de savoir lui ravit le sommeil, il se roule brûlant sur sa couche et vers minuit se lève d’un bond. Au temple le conduisent involontairement ses pas craintifs. Il lui fut facile d’escalader le mur, et à l’intérieur de la rotonde l’intrépide est porté d’un élan courageux.

Le voilà maintenant debout, et l’horreur d’un silence sans vie saisit le solitaire, qu’interrompt seulement l’écho sourd de ses pas dans les caveaux mystérieux. D’en haut, par l’ouverture de la coupole la