Page:Œuvres de Schiller, Poésies, 1859.djvu/451

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comme une troupe de spectres hostiles, qui tenaient ses sens dans les liens de l’esclavage, et qui, rudes comme lui, comme lui insociables, dirigeaient contre lui mille forces diverses… Attaché aux phénomènes par les seules chaînes de l’aveugle convoitise, la belle âme de la nature lui échappait, sans qu’il en jouît, ni la sentît !

Et comme elle passait dans sa fuite rapide, votre main saisit sans bruit, avec un sentiment délicat, les ombres voisines : vous apprîtes à les marier ensemble, par les liens d’un harmonieux accord. Le regard se sentait attiré en haut par le port élancé du cèdre, et d’un vol léger s’élevait à sa cime ; le cristal de l’onde en reflétait agréablement la flottante image. Comment pouviez-vous négliger ces signes charmants que vous faisait la nature, secourable et prévenante ? L’art, pour lui dérober son ombre par l’imitation, vous montra l’image qui nageait sur la vague. Séparée de sa substance, devenant l’aimable fantôme d’elle-même, la nature se jetait dans les flots argentés, pour s’offrir à son ravisseur. À cette vue, la belle puissance de rendre les formes s’éveilla au dedans de vous. Trop nobles déjà, ne voulant pas sentir oisivement, vous reproduisîtes sur le sable, dans l’argile, l’ombre gracieuse, et saisîtes son être en traçant ses contours. Alors naquit le doux plaisir de produire, et la première création sortit de votre sein.

Retenues et fixées par l’observation, enlacées en tous sens par vos regards attentifs, les formes vous devenant familières, trahirent le talisman par lequel elles vous avaient charmés. Les lois du beau, aux magiques effets, les trésors découverts de la grâce et du charme, l’esprit inventif les réunit en un léger faisceau dans les œuvres de votre main. Alors s’éleva l’obélisque, la pyramide ; alors se dressèrent les hermès, et s’élancèrent les colonnes ; la mélodie de la forêt coula du chalumeau, et les hauts faits vécurent dans les chants.

L’élite des fleurs d’un champ émaillé, liées en un bouquet par un choix habile : tel le premier art sorti de la nature. Bientôt, les bouquets furent tressés en guirlandes, et un second