Page:Œuvres de Schiller, Poésies, 1859.djvu/452

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art, un art plus élevé, naquit à son tour des créations de la main de l’homme. L’enfant de la beauté, se suffisant à lui-même, et sorti parfait de votre main, perd, dès qu’il a reçu l’existence, la couronne qu’il portait. Il faut que la colonne, soumise à la symétrie, se range, voisine bienvenue, auprès de ses sœurs. Il faut que le héros se confonde dans une armée de héros : la harpe du chantre de Méonie ouvre la marche et donne le ton.

Bientôt les barbares étonnés se pressèrent, attirés par ces nouvelles créations. « Voyez, criaient leurs troupes joyeuses, regardez, c’est l’homme qui a fait cela ! » Puis la lyre du poète les entraîne après elle, en couples heureux et plus sociables : du poète qui chantait les Titans, les combats de géants, les dompteurs de lions, et ces récits, tant que le chantre parlait, faisaient de ses auditeurs des héros. Pour la première fois, l’esprit jouit, récréé par des joies plus paisibles, qui ne le repaissent que de loin, que son ardeur avide ne s’approprie pas avec violence, qui ne meurent point dans la jouissance même.

Alors l’âme libre et belle se dégagea du sommeil de la sensualité. Délivré par vous, l’esclave du souci s’élança dans le sein de la joie. Alors tomba la sombre barrière de la vie animale : l’humanité apparut sur le front serein de l’homme, et de son cerveau émerveillé jaillit la sublime étrangère, la pensée. Alors l’homme se dressa, et montra aux astres son royal visage. Déjà son œil éloquent remerciait, à de sublimes hauteurs, la lumière du soleil. Le sourire s’épanouit sur ses joues ; l’organe expressif de la voix se développa, s’éleva au chant ; dans ses yeux humides nagea le sentiment, et, par une aimable alliance, le plaisant uni à la grâce découla de ses lèvres animées.

Il était enseveli dans l’instinct du ver de terre, étouffé sous les désirs des sens ; mais vous reconnûtes dans son sein le noble germe de l’amour des esprits. Si des instincts grossiers des sens se dégagea le germe plus pur de l’amour, c’est au premier chant pastoral que l’homme le doit. Élevée à la dignité de la pensée, la passion plus pudique découla mélodieusement des lèvres du