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des barricades au bagne

Je jugeai que la situation était grave et qu’il convenait d’en instruire au plus tôt le citoyen Delescluze ; mais, avant de quitter la tranchée, je recommandai aux hommes qui l’occupaient la plus grande vigilance :

— Prenez garde, mes amis ; tout ce que j’ai vu depuis que je suis ici ne me dit rien qui vaille, et il ne m’étonnerait pas qu’une attaque sérieuse se produisît contre la Grange-Ory. Vous ne sauriez donc être trop vigilants.

Je parlais encore lorsque, suivant la tranchée et venant de la direction du fort de Vanves, nous vîmes s’avancer vers nous le citoyen Léo Melliet, membre de la Commune et délégué près des généraux commandant les forces du Sud. Je lui exposai la situation, ne lui cachant rien de ce qui se passait à la Grange-Ory. Il m’écouta d’un air distrait, me dit que tout allait bien et, me serrant la main, il s’en fut vers Arcueil sans se donner la peine de visiter la Grange-Ory, sans aller voir le commandant du 118e bataillon.

Quel étrange délégué aux armées, que le citoyen Léo Melliet !

Du haut en bas du commandement régnait la plus désolante impéritie, et tout et tous semblaient se concerter pour précipiter la catastrophe finale.

La nuit allait venir ; je dis adieu à Lefebvre et aux fédérés qui, enjoués, m’assurèrent que j’avais tort de m’alarmer ; que, du reste, on allait les relever bientôt et doubler la garde de la tranchée pour la nuit.

Je visitai mon revolver et, après l’avoir placé à portée de ma main, je pris le chemin Je la Grange-Ory à une allure très vive, car je tenais à rentrer à Paris au plus tôt et voir Delescluze avant de me rendre à la mairie du Cinquième.

J’allais atteindre le poste qui commandait l’entrée du cantonnement quand, venant de la vallée de la Bièvre, je vis un officier et reconnus mon frère qui, m’ayant aperçu, se hâtait.

— Eh quoi ! me cria-t-il, où vas-tu de ce pas ?

— Mais, tu le vois bien, dis-je en lui tendant la main, je m’en retourne à Paris. Je suis cependant très heureux de te voir, d’autant que je m’en allais sans savoir ce que tu étais devenu en cette pétaudière qu’est la Grange-