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des barricades au bagne

A peine avions-nous franchi la cour qui nous séparait du premier bâtiment, que le commandant et quelques officiers vinrent au-devant de nous :

— Comment, c’est vous, citoyen Allemane ! me dit le commandant ; combien j’ai regretté d’être absent au moment de votre arrivée à la Grange-Ory ; on était venu me dire, peu après, que vous étiez reparti vers Paris. Je suis bien heureux qu’il en soit autrement, et je vous garde à souper…

— Merci, lui dis-je, je mangerai avec mon frère ; du reste, ce n’est pas de souper qu’il s’agit présentement, mais de veiller sur la Grange-Ory qui, me paraît-il, n’est pas trop bien gardée, et où on accueille assez mal les délégués du Comité de légion ; mais c’est là chose peu importante au regard des autres incidents…

— Je suis désolé de ce qui s’est passé, me dit Rouget ; quant à la défense, j’y ai déjà pourvu ; la compagnie qui doit relever les hommes de la tranchée est sous les armes et, afin de tout prévoir, je vais doubler les postes.

Puis il me narra une histoire de brigands pour expliquer son absence et celle des officiers.

Je vis qu’il mentait, mais le moment ne se prêtait guère aux explications, et je m’en fus avec mon frère, dont la compagnie se trouvait logée au deuxième étage de ce premier bâtiment.

Nous mangeâmes un morceau à la hâte, et mon frère, voyant combien je tenais à surveiller les mesures prises par Rouget, pria la cantinière de nous verser vivement du café. A ce moment, un sous-lieutenant, à moitié ivre, vint m’interpeller grossièrement ; mais, plus prompt que moi, mon frère eut tôt fait de mettre un terme à ses injures.

De plus en plus j’étais fixé sur l’état d’esprit des officiers du 118e bataillon, beaucoup plus noceurs que dévoués à la Commune.

A peine le café était-il versé dans les « quarts » qu’une épouvantable clameur retentit : cela venait de la tranchée. On perçut ces appels : « Au secours ! A nous ! » Et, aussitôt, étouffant ces cris déchirants, le bruit strident des mitrailleuses se fit entendre.

C’est l’attaque prévue et, par moi, vainement annoncée ; l’œuvre de l’espion et des malheureux gardes