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mémoires d’un communard

nationaux qui, bassement envieux, me croyant un privilégié, s’étaient dressés en faveur de l’ennemi au lieu de m’aider à empêcher ce nouveau crime.

Sauter sur mon fusil, m’élancer au dehors, saisir la rampe de fer qui courait le long de l’escalier et arriver à l’entrée de la Grange-Ory, fut pour moi l’affaire d’une minute. Les hommes du corps de garde, non encore relevés, paraissaient pétrifiés, tant était grande leur stupeur, où, peut-être, se mêlaient des remords tardifs.

Quelques faibles cris se faisaient encore entendre, durant que le fer des mitrailleuses labourait la route et achevait les quelques blessés qui, affolés, essayaient, en se traînant, de gagner la Grange-Ory.

— Voyez-vous, misérables, ce que vous avez aidé à faire, criai-je aux hommes du poste, qui, muets, pâles comme des morts, ne savaient quel parti prendre.

— Allons, jetez-vous avec moi dans e fossé de la route, et en avant !

Quelques-uns me suivirent et nous atteignîmes la tranchée en même temps que deux autres compagnies, venues à travers un chemin couvert que j’ignorais ; mais les braves soldats de Versailles, une fois le coup fait, s’étaient prestement enfuis. Un seul des leurs fut trouvé étendu à quelques mètres de la tranchée.

Je retrouvai le malheureux Lefebvre, le corps littéralement labouré de coups de sabre-baïonnette. Il ne respirait plus. Tous ses compagnons, sauf trois ou quatre tombés sur la route, étaient gisants dans la tranchée.

Un seul homme survivait ; malgré ses blessures, il put nous faire le récit du guet-apens qui venait de se perpétrer. D’une voix faible, entrecoupée de hoquets qui déchiraient le cœur de ceux qui l’écoutaient, il dit :

« Ah ! les bandits !… Malgré vos conseils, citoyen Allemane, nous avons laissé les Versai liais s’approcher de la tranchée ; nous avons fait davantage… comme des fous que nous étions, voyant qu’ils n’avaient pas d’armes apparentes et qu’ils criaient : « Vive la garde nationale ! Vive la Commune ! » (sic), nous les avons pris pour des amis, et, déposant nos fusils, nous les avons aidés à franchir le parapet de la tranchée… Aussitôt entrés, ils se sont rués sur nous et nous ont massacrés… »

A quelques pas, au lieu dit le Moulin-de-Pierre, le