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des barricades au bagne

poste avait été pareillement surpris et égorgé. Détail horrible : les tètes des fédérés assassinés avaient été coupées et jetées au fond d’un puits d’extraction.

Ai-je besoin d’ajouter que tous les cadavres avaient été dépouillés ? Les poches retournées indiquaient que ces bandits officiels étaient experts en la matière.

Ces héros de grand chemin appartenaient au 114e de marche, commandé par le lieutenant-colonel Boulanger, celui-là même que, dix-huit ans après, trois cent mille électeurs parisiens acclamaient et réclamaient comme dictateur. Beaucoup moins sots se montreraient assurément les moutons, s’ils étaient appelés à se prononcer sur le choix d’un protecteur.

Toute la nuit la canonnade et la fusillade se firent entendre ; lorsque le jour vint, un spectacle désolant s’offrit à nos regards : sept têtes, complètement détachées de leur corps respectif, gisaient ensanglantées ; puis venaient les décapités et les corps relevés dans la tranchée. Ce fut une explosion de cris de vengeance où se mêlaient des pleurs, car, en outre de leur confraternité d’armes, les victimes comme les survivants étaient des amis, des citoyens habitant le même quartier, voire, pour quelques-uns, la même maison.

On manda des omnibus pour que les assassinés de la Grange-Ory fussent transportés et enterrés à Paris et, lorsqu’ils furent placés dans les voitures, je repris la route de notre arrondissement, côte à côte avec les délégués de la compagnie décimée.

Cette file de voitures endeuillées, ces hommes marchant en silence, l’arme sous le bras droit, ravivaient ma douleur, le souvenir de ce qui s’était passé la veille : le manquement au devoir des chefs, la grossière attitude de quelques-uns des gardes nationaux, la méconnaissance de toute règle de prudence et de vigilance, les arrière-pensées mesquines et, peut-être, les plus criminelles complicités qui, en cette tragique journée, avaient collaboré à l’œuvre sanglante du banditisme versaillais.

La cérémonie funèbre devait avoir lieu à Clamart (lieu où la société bourgeoise enterrait ses guillotinés) ; le Comité de légion avait voulu, en agissant ainsi, protester contre le meurtre officiel, c’est-à-dire la peine de mort, en même temps qu’accomplir un acte de haute