Aller au contenu

Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
105
des barricades au bagne

hommes de l’Hôtel de Ville n’en étaient que plus divisés et, brochant sur le tout, plus acerbe la querelle entre eux et les membres du Comité central.

C’est ainsi que se creuse la fosse des causes les plus justes.

Le samedi 20 mai, vers dix heures du soir, au moment où, accompagné de deux amis, je me disposais à me rendre à la sixième légion pour m’informer si certaines mesures de défense avaient été prises, je rencontrai le citoyen Millière, que je n’avais pas revu depuis notre entrevue sur la terrasse de l’Orangerie, à Versailles, en compagnie de notre ami commun, le citoyen Salles.

— Tiens, m’écriai-je, quelque peu étonné, voici le citoyen Millière !

— Vous ne me saviez donc pas à Paris ?…

— Ma foi non, et puis, vous l’avouerai-je, je n’ai d’yeux et de pensées que pour la défense de Paris et de la République.

— Eh bien, j’y suis revenu il y a déjà quelques jours pour m’occuper, avec mes amis de la Ligue républicaine, de faire cesser les hostilités…

Se rapprochant et baissant la voix, Millière ajouta :

— Vous êtes perdus ! les Versaillais vont entrer celle nuit (sic).

— Le bruit en est déjà parvenu jusqu’au Comité de légion, et vous ne faites que le confirmer ; mais, tout en vous remerciant pour votre communication, laissez-moi ajouter qu’en somme j’en suis satisfait, car il faut que ça finisse. C’est la lutte sans merci, la lutte à mort entre Versailles et la Commune ; eh bien, tant mieux !

— Bonne chance ! conclut Millière en me serrant la main, et il rentra chez son beau-père, rue d’Ulm, où il était descendu depuis son retour à Paris.

C’est là que l’assassin Garcin, brave à la solde du lâche et vindicatif Jules Favre, soudard dont notre République — avide, sans doute, de hontes nouvelles — a fait un général, comme de Mercier, déjà général, elle a fait un sénateur au lieu d’un forçat, ira le prendre, l’arrachera des bras de sa compagne affolée et le fusillera à cent mètres à peine de l’endroit où, le samedi 20 mai 1871, nous nous serrâmes la main pour la dernière fois.