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des barricades au bagne

le citoyen Lisbonne qui vous délivre ; la seconde, c’est moi qui vous fais reconduire à votre domicile…

— Citoyen, me dit-il, je joue de malheur ; je n’ai pu, justement, regagner ma demeure : les deux fédérés qui m’accompagnaient m’ayant quitté en chemin. On m’arrête une troisième fois, on me menace de mort, et je me suis réclamé de vous…

— Eh bien, cette fois, je vais m’assurer que je n’ai pas été votre dupe et si, vraiment, vous êtes victime d’une fâcheuse méprise. Citoyens, menez votre prisonnier à la caserne Mouffetard.

Nous pénétrons dans le poste et je prie le prisonnier de se défaire de ses vêtements civils et de revêtir des effets de garde national.

Ceci fait, on visite, on découd en partie ses vêtements ; minutieusement on examine poches et doublure ; tout à coup, au dos du pardessus, en une poche artistement dissimulée, on trouve quelques papiers ; on les déplie, on en prend connaissance et un cri de colère s’échappe de toutes les poitrines. Or, ces exclamations étaient justifiées.

Sur une première feuille se trouvent indiquées nos barricades, même les plus récentes, aussi le nom de leurs principaux défenseurs ; sur une autre, sont inscrits les noms et domiciles des militants de l’arrondissement ; puis, brochant sur le tout, le brouillon d’une lettre écrite au prince Frédéric-Charles de Prusse, dans laquelle se lisent ces phrases, dont le sens, sinon les mots exacts, est demeuré dans ma mémoire :

« Monseigneur, vous avez dû (il s’agit ici d’une première lettre) vous étonner qu’un Français vous ait indiqué le moyen de battre, avec une cinquantaine de mille hommes, une armée française trois fois supérieure en nombre ; la raison en est que je hais la République et les républicains au point que je préférerais voir périr mon pays si la République devait s’y implanter…

« Suivez donc mes conseils, et vous ne tarderez pas à arriver sous les murs de Paris. »

Nous nous regardons, quelque peu étonnés du résultat de nos recherches. Quant au prisonnier, quoi-