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Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/141

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mémoires d’un communard

qu’il eût légèrement pâli, il était cependant demeuré maître de lui ; il comprenait qu’il ne s’agissait de rien moins que de son existence, et paraissait presque indifférent à ces découvertes terribles. Nous l’examinions avec curiosité. Quel était cet homme ? Etions-nous en présence d’un fou ou d’un infâme gredin ?

— Monsieur, lui dis-je, ces documents vous accusent et vous condamnent !

— Citoyen, je vous l’ai déjà expliqué : arrêté, il y a un mois, et conduit à la Préfecture, j’en suis sorti ce matin, et, comme je n’avais pu retrouver mon pardessus, l’on m’a remis celui-ci. J’ignore absolument à qui il appartient, aussi bien que les papiers que vous venez de découvrir.

— C’est bien ; nous allons voir si vous dites la vérité, et je demandai de quoi écrire.

On apporta papier, encre et plume, puis m’adressant au prisonnier :

— Asseyez-vous près de cette table et écrivez ce que je vais vous dicter. Ecrivez sans crainte ; si vous êtes étranger à ces infamies, il ne vous arrivera rien de fâcheux ; je vous en donne ma parole.

Il s’assit ; je vis que sa main tremblait légèrement, malgré ses efforts pour se montrer calme.

Et je dictai :

« J’aime la République, et suis prêt à mourir pour elle ! »

— Signez, maintenant.

Il signa, mais son nom, vrai ou faux, s’est, malheureusement, envolé de ma mémoire ; je ne sais si le citoyen Lisbonne qui, une première fois, l’avait fait conduire devant moi, serait plus heureux à cet égard ?[1]

Je priai les témoins de cette scène de se rapprocher et, pendant qu’à quelques pas crépitaient les chassepots, se déroula, en ce poste de caserne, un drame étrange. Je plaçais sous les yeux de chacun des témoins le brouillon de la lettre écrite à Frédéric-Charles, les listes renfermant les noms des révolutionnaires et la dernière phrase écrite par le prisonnier, en les enga-

  1. Lisbonne est décédé à la Ferté-Alais, sans me fournir d’indications à cet égard.