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des barricades au bagne

geant à les examiner avec attention et à se prononcer en toute loyauté.

Après que chacun eut confronté les écrits, il n’y eut qu’une voix pour déclarer que la même main avait tracé le brouillon, les listes et la dictée.

J’examinai à mon tour ces divers écrits, en y apportant toute l’attention dont j’étais capable, et ma conviction fut que l’individu, auquel Lisbonne et moi avions sauvé la vie, était le dernier des misérables.

— Vous êtes un infâme coquin, mais je vais pourtant agir selon que ma conscience me le commande. Et, me tournant alors vers les citoyens présents, je leur demandai quel châtiment méritait un tel individu.

Chacun d’eux répondit :

— La mort !

Je m’adressai ensuite à l’espion, dont le visage s’était décomposé et trahissait une peur atroce :

— Vous avez entendu ? En attendant que ceux que vous serviez nous couchent dans la tombe, montrez-vous beau joueur. Marchez à la mort comme un homme…

À ces mots, le misérable se roule à mes pieds, s’attache à mes jambes, hurle, demande grâce, crie qu’on lui pardonne…

— Allons, dis-je, qu’on en finisse avec ce serpent, car les camarades qui luttent ont besoin de nous.

On le saisit, et, quelques instants après, au moment même où je franchissais le poste de la caserne Mouffetard, un feu de peloton m’avertissait que la loi terrible de la guerre avait été appliquée à l’espion du prince Frédéric-Charles de Prusse et du gouvernement de M. Thiers.

— Que se passe-t-il ? me demande une femme, établie en face, et dont le mari est brigadier dans la garde de Paris.

— Rien, lui dis-je, il y avait là-dedans un serpent dangereux, mais il ne mordra plus.

— J’en connais un autre, me dit-elle, et je fais le vœu qu’il en soit pour lui de même !

Je la fixai, étonné de l’entendre exprimer de tels sentiments. Elle comprit que je doutais de sa franchise et me dit que c’était à tort, puis ajouta :