Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
131
des barricades au bagne

Il est pourtant hors de doute que la victoire demeurera à la bourgeoisie, et ses privilèges seront à nouveau sauvegardés grâce à l’incompréhension, à la bestiale obéissance des enfants de la classe productrice qu’en ces jours troublés on grise de sophismes, d’alcool et de sang. Cependant, lorsque une cause enfante de tels dévouements, d’aussi héroïques sacrifices, ce n’est pas se montrer optimiste que de déclarer que, quels que soient les obstacles, les égoïsmes féroces, les forces contraires, son triomphe est fatal. Ce n’est plus qu’une question de temps, de sacrifices et d’efforts nouveaux.

Les Versaillais s’acharnent : ils entendent s’emparer quand même de la position. Derrière nous, en la rue Mouffetard, s’élèvent des voix féminines irritées et, un instant après, entouré par quelques citoyennes, apparaît un maréchal des logis d’artillerie. C’est le sieur G…, habitué des réunions et des meetings, dont les motions exagérées ont fait suspecter le civisme. Il est d’autant plus honteux, qu’il ne fut pas toujours loyal à mon égard : ma présence l’accable.

— Allons ! allons ! lui crient les citoyennes, ce n’est pas le moment de s’esquiver, mais de se battre.

— J’allais embrasser ma femme et mes enfants, balbutie G…

— Vous avez abandonné vos hommes pour aller vous cacher !

Il voulut protester, mais les femmes l’emmenèrent à la barricade et, lui montrant la pièce de canon :

— Voilà votre place et, si vous tenez à ce que nous ne nous occupions plus de vous, faites votre devoir.

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Que n’ai-je le don d’ubiquité ; que ne puis-je être à la fois à la mairie et aux barricades ; connaître, minute par minute, la marche de l’envahisseur, l’endroit où ma présence est le plus utile !

Je gagne la place Lacépède, la rue Thouin, la rue et la place de l’Estrapade.

A la barricade de la rue d’Ulm il ne reste plus que cinq ou six hommes. Ils me crient de leur envoyer du monde. À ce moment, il nous semble qu’un grand silence se fait.

— Il y a du nouveau ! dit un des fédérés.