Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
157
des barricades au bagne

La consigne, on l’a vu, était féroce ; à la moindre incartade, les factionnaires pouvaient faire feu ou jouer de la baïonnette. Il était surtout interdit de s’approcher de la barrière, c’est-à-dire du jour. Il arriva que le citoyen Budaille, se croyant, par suite de sa situation spéciale d’ex-détenu pendant la Commune, placé en dehors de cette sévérité excessive, pensa pouvoir s’approcher de cette barrière, en faisant observer à l’un des gendarmes qu’on ne pouvait, logiquement, le traiter comme un vulgaire communard : pour toute réponse, le factionnaire lui lança un coup de baïonnette qui faillit lui traverser la gorge. Ce geste meurtrier prouvait que la consigne ne comportait pas d’exception, et que nous étions tous des « bons à tuer ».

Nous avons dit plus haut que les parois de notre prison suintaient sans arrêt et détrempaient le sol sur lequel nous devions nous asseoir ou nous coucher ; aussi, quelle que fût la barbarie de nos geôliers, ils durent bientôt diriger sur l’hôpital les prisonniers que cet affreux régime avaient mis en danger de mort. Ce fut ainsi que Maroteau et Caria durent être transportés à l’hôpital militaire. D’autres ne vécurent que grâce à une extraordinaire réserve d’énergie.

La Fosse-aux-Lions avait aussi ses fous ou des hommes qui paraissaient tels. Il y avait un malheureux, du nom de Simon, qui servait d’amusement à messieurs les gendarmes : Séré de Lanauze le leur avait donné. Ils pouvaient, à leur gré, le battre, se distraire avec ou le tuer. Ils avaient costumé leur homme-jouet en soldat d’infanterie de ligne. Lorsqu’ils étaient las de s’amuser en le brimant, en se le renvoyant ainsi qu’une balle, ils le réintégraient à sa place, tout près du baquet à déjections, placé entre deux piliers dans la partie la plus basse de la voûte.

Ce malheureux martyr ignorait tout de la Commune ; marchand brocanteur, il avait été dénoncé, par un concurrent appartenant à la police, comme détenant des armes de guerre. La vermine grouillait sur sa longue capote, ignoble de boue et d’ordures.

Comme on finit par s’habituer aux choses les plus monstrueuses, et que peu de prisonniers connaissaient son véritable nom, nous appelions Simon « l’Amiral »,