Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/177

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
158
mémoires d’un communard

par rapport à son voisinage avec le baquet. On m’a assuré que cet homme fut envoyé à la déportation, malgré que les juges du conseil de guerre fussent convaincus de sa non-participation à l’insurrection. L’armée n’a rien à refuser à la police et aux policiers.

Un autre prisonnier avait à peu près perdu la raison. C’était, paraît-il, un ancien horloger assez aisé. Des poux énormes couraient sur lui ; ses effets déchirés, en lambeaux, laissaient à nu ses maigres épaules, et vers les omoplates se voyaient comme deux plaies dont la vermine avait fait sa demeure[1].

Afin de se garder de son contact, on l’avait confiné dans un coin qu’on entourait de chlore. Cet isolement ne pouvait qu’aggraver son état et augmenter sa folie. Parfois, il cherchait à se venger sur nous de la cruauté de nos communs bourreaux : profitant des épaisses ténèbres de la nuit, il s’approchait en rampant et jetait sur nous une partie des parasites qui le dévoraient.

Envoyé plus tard sur les pontons, on le plongeait chaque jour dans la mer à l’aide d’une corde qu’on lui passait sous les aisselles. Il succomba dès que vinrent les premiers froids : son martyre avait duré près de six mois !

Si l’on veut rencontrer des êtres aussi lâches que féroces, et que jamais la moindre pitié ne puisse émouvoir, il les faut chercher parmi les meilleurs défenseurs de la Famille, de la Religion et de la Propriété.

Un jour, nous vîmes venir un prisonnier qu’entouraient plusieurs gendarmes. Il était vêtu avec une certaine recherche ; lorsqu’il fut à quelques pas de la barrière, je reconnus le citoyen H. Brissac ; or, comme il était un peu myope, il hésitait à s’engager sur les deux planches qui menaient à l’intérieur de la Fosse-aux-Lions. Voyant son hésitation, les gendarmes se saisirent de lui et, d’une brutale poussée, l’envoyèrent nous rejoindre.

Au cri qu’il ne put retenir répondirent les menaces des factionnaires :

— Tais-toi et couche-toi, si tu tiens à ce que ta peau ne soit trouée !

  1. Nous en demandons pardon à nos lecteurs, mais quelque pénible que cela soit, le devoir nous impose de relater les faits tels qu’ils se sont déroulés devant nos yeux, et nous n’y faillirons pas.