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des barricades au bagne

Abasourdi, ne sachant où il se trouvait, Brissac se tut et se baissa. Je me glissai près de lui et me fis connaître. Cela lui fut de quelque consolation, malgré qu’il dût, en l’impossibilité où j’étais de lui indiquer un endroit meilleur, se coucher dans une espèce de trou très humide. Au matin, il put se rendre compte du lieu où il se trouvait et de la saleté ambiante. Ses vêtements étaient maculés de boue ; quant à sa tristesse, elle faisait peine à voir.

La Fosse-aux-Lions servait également de cachot, et il arrivait que des prisonniers y fussent enfermés, pendant deux ou trois jours, à titre de punition. Parfois, des scènes de sauvagerie s’y déroulaient : des malheureux, attachés et bâillonnés, étaient frappés et ensanglantés par les brutes qui nous gardaient.

Nous avions toutes les peines du monde à résister à l’envie de nous précipiter sur ces fauves, qui, au fond, n’eussent pas mieux demandé que d’avoir un motif pour nous égorger.

Le geôlier en chef, Séré de Lanauze, venait de temps en temps nous visiter et montrer ses « lions » à des bandits de sa trempe et aux catins qui les accompagnaient. Il éprouvait un certain plaisir à nous présenter à son joli monde.

— Que les prisonniers s’approchent de la barrière ! ordonnait-il, puis il commençait : « Celui-ci est un tel ; il a incendié, assassiné, volé, etc. ; cet autre est le fameux journaliste X… ; il a poussé à l’assassinat des prêtres, des gendarmes…

» L’affaire de tous ces gredins est claire : c’est au poteau de Satory qu’on la leur réglera.

Il ne manquait jamais de me signaler de cette façon courtoise :

— Tenez, vous voyez ce gaillard-là ? Eh bien, malgré tous les forfaits qu’il a commis, il trouve le moyen d’être aimé de son frère, un communard aussi, mais bien moins coupable. Il a voulu, à toute force, être enfermé à la Fosse-aux-Lions afin de ne pas le quitter. J’ai cru bon de ne pas lui refuser cette satisfaction…

Et les catins s’esclaffaient.

L’exemple est pernicieux ; les gendarmes crurent devoir singer le commandant, et, à chaque instant, des