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des barricades au bagne

cueil, généraux Clément-Thomas et Lecomte. Cela indiquait que Muraz et moi, par le seul fait de notre incarcération en cette salle, relevions d’une prévention à peu près semblable. Mon compagnon ne pouvait se résoudre à une telle perspective, et il ne tarissait de se prétendre la victime d’une erreur.

Il faut avouer que les craintes de Muraz avaient quelque raison d’être, car la plupart des prisonniers de la « salle des Assassins » furent ou fusillés, ou condamnés aux travaux forcés.

Cependant, Muraz et moi paraissions — tout au moins jusqu’à nouvel informé — classés en dehors de ces prévenus spéciaux et comme il ne se trouvait personne qui pût donner un coup de main au cantinier qui nous apportait la ration qui nous était impartie, ledit cantinier me demanda s’il me plairait de lui fournir un état quotidien des camarades présents, ajoutant qu’il me faudrait, en outre, donner un coup de balai dans le couloir qui séparait notre salle de la vaste cour des Grandes-Ecuries.

A mesure qu’il parlait, ma pensée entrevoyait les chances inespérées que cette « corvée » allait m’offrir, mais je me gardais bien de laisser soupçonner la joie que me causait la demande du cantinier.

— Etant donné que la plupart de mes co-détenus ne peuvent sortir de la salle et, afin que chacun ait la ration qui lui revient, je consens, dis-je, à vous rendre ce service.

— En ce cas, reprit le cantinier, venez avec moi, je vais vous présenter au sergent de garde, et celui-ci n’aura plus qu’à passer la consigne à son collègue, lorsqu’il sera relevé.

Et il en fut ainsi que le cantinier le désirait. Aussi, dès la première distribution terminée, me vit-on prendre le balai et, avec un soin à rendre jalouse la plus experte des ménagères, mener jusque dans la cour : poussières et menues brindilles de paille.

Je constatais que si un factionnaire se tenait à l’entrée de notre salle, il ne s’en trouvait aucun dans le couloir, et que le soldat placé devant la grande grille ne prêtait aucune attention à ce qui se pouvait passer à l’intérieur des Grandes-Ecuries.