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des barricades au bagne

invoquant l’honorabilité de mon père et de ma mère et termina ainsi, en parlant de moi :

—… Messieurs, le tuerez-vous ? Non, vous ne le tuerez pas ; mais vous l’enverrez si loin, si loin, qu’il ne reviendra jamais ! »

Et il s’assit, pendant que le commissaire du gouvernement redemandait à nouveau ma condamnation à mort.

— Accusé Jean Allemane, avez-vous à formuler quelque observation, à présenter quelque demande au conseil de guerre ? interroge le président.

— Je n’ai rien à demander ; disposé à ne rien vous accorder, puisque vous êtes mes ennemis, il est logique que je ne vous demande rien.

Mon frère fait de même et s’assied.

Un grand silence règne dans le Manège : les spectateurs pressentent qu’à cette comédie de jugement va succéder un crime militaro-juridique, un nouvel assassinat à Satory.

Le président ordonne de faire sortir les accusés. A ce moment retentit, dans la vaste salle, un grand cri, et une femme tombe à la renverse : c’est notre désolée mère, dont j’ignorais la présence, qui vient de s’évanouir. On la relève et transporte au dehors.

Mon frère est ensuite emmené d’un côté, pendant qu’on m’entraîne d’un autre. Des sergents de ville m’entourent et me lancent des regards chargés de haine. Je prends plaisir à leur témoigner un certain dédain, ce qui les irrite davantage. Mais voici Me Demange qui vient et me dit :

— Votre affaire se corse encore : ce n’était pas assez, paraît-il, des autres accusations ; maintenant on y ajoute celle d’incendiaire !

— Qu’est-ce que cela peut vous faire ? dis-je d’un ton rogue ; ne vous occupez donc pas de moi !

Il part désolé, pendant que mes ennemis délibèrent.

J’appris quelque temps après pourquoi Me Demange avait mis à mon service, comme à celui de mon frère, son incontestable talent, et, malgré les divergences grandes, je ne pus m’empêcher de regretter ma façon d’être à son égard. Les supplications d’une mère, qui craignait pour les jours de ses deux fils, avaient décidé