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mémoires d’un communard

À mon entrés dans la Casemate tous les yeux se fixèrent sur moi :

— Qu’est-ce que le commissaire vous voulait ? interrogèrent plusieurs camarades.

Tout en n’exprimant ni crainte, ni joie, paisible, je répondis :

— Je ne sais ce que recherche le commissaire ; il m’a demandé ce que je faisais avant de venir ici, et m’a ensuite parlé d’un journal qu’il a appelé le Progrès du Var. Il m’a également demandé si je connaissais l’incident de l’aumônier ; mais, lorsque je me disposais à lui narrer ce qui s’était passé à ce sujet, il m’a brusquement interrompu et fait ramener à la Casemate. Ma foi, je dois avouer que je n’y entends rien.

Rastouil et Boudaille s’étaient insensiblement rapprochés et, attentifs, écoutaient, épiant mon attitude, ne perdant ni un mot ni un geste ; mais, comme le triumvirat qui venait de m’interroger, les deux « moutons » de la Casemate en furent pour leurs frais d’espionnage.

Lorsqu’il me fut permis d’échanger quelques mots avec le citoyen Berthier, je lui racontai mon interrogatoire, la fureur de l’Administration, les menaces proférées contre les communards, et lui conseillai de veiller sur lui. Berthier, quelque peu gavroche, comme la plupart des enfants de nos faubourgs parisiens, me fit un geste expressif et me conta que l’aumônier en avait vu de toutes les couleurs ; que, entouré, à sa sortie de l’Arsenal, par de nombreux jeunes gens, il avait essuyé de dures invectives et reçu une telle volée d’oranges, plus que mûres, qu’il avait dû réintégrer l’Arsenal.

— Depuis deux jours, il couche au bagne, comme un vulgaire forçat, me dit Berthier ; car, chaque fois qu’il essaie de regagner son domicile, la même manifestation hostile se produit. Les oranges gâtées pleuvent et les cris de : « Sale capellan, va-t-en insulter et menacer les condamnés de la Commune ! » l’accueillent et le font battre en retraite.

C’était notre vaillant ami le forgeron qui l’avait mis au courant de ces faits et, comme Berthier, j’étais heureux d’apprendre que la généreuse population toulonnaise vengeait les vaincus que ce personnage in-