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mémoires d’un communard

— Comment, travailler pour la réaction ! mais c’est le Comité central qui a décidé que chaque bataillon reprendrait sa pièce.

— Allons, allons, capitaine, ne cherchez pas à donner le change ; vous savez bien que nous connaissons vos sentiments et ceux du Comité central auquel vous obéissez…

Le capitaine comprit qu’en insistant il compromettrait l’opération, il haussa les épaules et se tut.

Aussitôt parvenu à la place des Vosges, le bataillon y fut accueilli par les cris de : « A bas le 59e ! A bas la réaction ! »

Le capitaine adjudant-major Meyer, gros négociant de la rue Cardinal-Lemoine, s’en fut trouver le commandant du parc d’artillerie. Celui-ci consentit à ce que les grilles s’ouvrissent, et bientôt, artilleurs, attelage et canon, entourés par deux de nos compagnies, suivies des six autres, reprenaient le chemin du 5e arrondissement, accompagnés par les énergiques réprobations de la foule que cet incident avait rapidement grossie.

Indigné par cet affront collectif, je quittai mon rang et me dirigeai vers les plus furieux des protestataires où, fort heureusement, se trouvaient quelques citoyens qui me reconnurent.

Je leur dis que le 59e bataillon comptait des hommes aussi résolus que dévoués, capables de donner une leçon aux réactionnaires, de reprendre la pièce et de la ramener place des Vosges.

Des lazzis, des rires d’incrédulité répondirent à mes affirmations.

Je m’éloignai fort mécontent, mais résolu à tout tenter pour qu’il en fût ainsi que je m’y étais engagé.

Dans l’ignorance où j’étais de la direction prise par le bataillon et tenant à éviter tout motif d’altercation avec d’autres citoyens, je pris la rue Saint-Paul, les ponts Marie et de la Tournelle, et gagnai rapidement l’Ecole Polytechnique.

Pendant ce temps, mon bataillon — cette démonstration indiquait, s’il en eût été besoin, l’entente avec le gouvernement — allait saluer les hommes de l’Hôtel de Ville, puis regagnait le quartier par le boulevard Saint-Michel et la rue Soufflot.