Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/28

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Parvenu devant la mairie, M. Vacherot, maire du 5e, vint le complimenter pour son acte de civisme et ajouta que son heureuse initiative serait bientôt suivie par tous les autres bataillons de l’arrondissement, par toute la garde nationale vraiment républicaine et patriote.

J’assistais à cette scène burlesque, l’arme au pied, du bas du péristyle du Panthéon. Lorsque le bataillon reprit sa marche, je régagnai mon rang. Le capitaine Versigny, lisant sur mon visage la sourde colère qui grondait en moi, s’approcha et me dit :

— Je vous conseille, Allemane, de veiller sur vous !

— Veillez sur vous-même ! lui répondis-je.

Ceci dit, je réglai mon pas sur celui de mes camarades, tout en observant les mouvements de mon chef de compagnie.

A peine le dernier rang avait-il franchi l’entrée, que la grand’porte de l’Ecole se refermait. Le bataillon se rangea en bataille dans la vaste cour.

Le général et son état-major vinrent aussitôt saluer et remercier ce brave 59e pour la confiance dont il les honorait. Ces messieurs se mettaient à notre entière disposition afin que le maniement du canon n’eût plus de secrets pour nous. Nous allions devenir, sous peu de jours, des artilleurs émérites.

Ce discours n’était pas achevé que, brusquement, je m’avançai et, au grand scandale des galonnés, je m’écriai :

— Ce canon appartient au peuple, et je le reprends ! Allons, citoyens, qui m’aime me suive !…

Vingt bras saisissent la pièce et la dirigent vers la porte de sortie, pendant que plusieurs hommes se placent en arrière, pour la protéger. L’adjudant-major tire son épée et veut s’opposer à cet enlèvement, mais le citoyen Fitte le saisit au collet et le renverse. A son tour, le portier-consigne fait mine d’empêcher notre sortie, mais la vue de deux ou trois fusils dirigés sur lui le rend plus accommodant, et il nous ouvre la grand’porte.

Cela s’était passé si rapidement que nul, parmi les autres spectateurs, ne fit un mouvement. Quant à la pièce, poussée avec une vigueur extraordinaire, elle franchissait lestement la rue Saint-Etienne-du-Mont, traversait la place du Panthéon et parvenait devant la mairie.