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des barricades au bagne

plus furieux que la plupart d’entre nous : c’était un nommé Leclerc. D’un tempérament très violent, aussi cruel que brave, il était également redouté par les surveillants et par les forçats. Les procédés du sous-chef l’exaspéraient et, après avoir manifesté à haute voix son indignation, il prit le parti de s’asseoir.

Ce mouvement ne pouvait échapper au surveillant le plus rapproché de nous, le sieur Robas, venu en Nouvelle-Calédonie à bord du Rhin.

Prévoyant son intervention, j’engageai Leclerc à se lever : il ne voulut m’entendre. Robas vint et intima à Leclerc l’ordre de reprendre sa place dans les rangs ; celui-ci s’y refusa.

— Vous refusez d’obéir ! s’écria le surveillant ; en ce cas, rendez-vous au blockhaus !

Mais Leclerc ne bougea pas.

— Contremaître ! appela Robas, en s’adressant à un des condamnés qui sortait d’une des cases, emparez-vous de Leclerc et emmenez-le au blockhaus.

Mais déjà Leclerc est debout et s’élance sur le surveillant qui, fou de peur, se précipite vers la caserne, durant que le condamné le poursuit.

Les cris du surveillant font sortir du kiosque quelques-uns de ses collègues, dont le sieur Sarron, détaché à Montravel le jour même où le correcteur Mayer me confiait à ses bons soins.

Leclerc comprit qu’il en était fait de lui et, se refusant à donner sa vie pour une vaine menace, il bâte sa course et fouille dans sa poche de pantalon pour, sans nul doute, y prendre son couteau, l’ouvrir rapidement et le plonger dans le dos de Robas. Heureusement pour ce dernier, Leclerc venait, peu d’instants auparavant, de changer de pantalon et avait laissé son couteau dans une des poches de ce premier pantalon. Se voyant déçu en son projet de meurtre, sa fureur ne connut plus de bornes.

— Malheur ! rugit-il, je n’ai pas mon « charlemagne » ! (sic).

A cette exclamation, Robas se retourne et tombe ; Leclerc est sur lui. Livide, aveuglé par la rage, il tente, d’un coup de talon, d’écraser la tète du surveillant, mais il le manque, et Robas se peut remettre debout,