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mémoires d’un communard

comme l’air ahuri du directeur, sorti de son bureau et se demandant quel crime j’avais pu commettre pour qu’on m’enlevât de cette façon inusitée.

— Videz vos poches ! me dit le surveillant qui avait déjà parlé.

— Voilà ! et je les retournai incontinent.

Les deux chiourmes froncèrent les sourcils, car ils comprirent que je me moquais.

— Vos poignets !

— Voilà !…

Brutalement, ils me mirent les menottes, puis, d’un ton sec :

— En route pour la Direction !

Calme, je lançai un regard d’adieu à mes compagnons de travail et sortis sans prononcer une parole. Ayant tout à redouter, je n’avais d’autre souci que celui de faire tète à l’orage qui, sûrement, allait fondre sur moi.

En chemin, nous croisâmes des déportés qui, en me voyant, s’arrêtèrent, comprenant qu’il m’arrivait quelquechose de désagréable. J’évitai de leur faire le moindre signe, de crainte de les signaler aux deux brutes qui m’escortaient, et passai la tète haute.

Au moment où nous franchissions la porte de la Direction, je vis un condamné qui, surpris par mon arrivée, tentait de se dérober à ma vue ; mais mes yeux l’ont déjà dévisagé et j’ai reconnu le charretier de Saint-Louis, le communard de derrière les fagots, le misérable qui ne cesse de déserter : après l’armée versaillaise, celle de la Commune, et, maintenant, voire même le simple devoir de solidarité que des milliers de forçats de droit commun se refuseraient à trahir.

La vue de ce chenapan me révèle le motif de mon enlèvement de l’imprimerie : il s’agit, aucun doute n’est plus possible, des épreuves à la brosse que j’ai eu la sottise de lui confier.

Je n’ai qu’à me bien tenir, car Charrière doit tout savoir.

On me fait asseoir en un coin, pendant qu’un des surveillants va faire connaître — képi à la main — au forçat Voisin, ex-officier de cavalerie, condamné pour vol au détriment de l’Etat, et secrétaire particulier du Di¬