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des barricades au bagne

lièrement le petit commerce et la petite industrie : celle visant l’abrogation du décret ayant prorogé les échéances, et le paiement des loyers rendu obligatoire. En six jours, MM. les huissiers parisiens font cent cinquante mille protêts.

Jamais aubaine pareille n’avait réjoui cette noble corporation.

M. de Plœuc, agissant au nom de la Banque de France, et d’accord avec M. Thiers, mène l’affaire. La haute finance, affamée par un jeûne forcé de plusieurs mois, entend regagner le temps perdu. L’ogre capitaliste refuse d’attendre plus longtemps.

La menace de suppression de la solde et le paiement obligatoire du loyer, avant que le travail ait pu reprendre son cours normal, va irriter les prolétaires, comme l’abrogation du décret visant les échéances va soulever les colères petites-bourgeoises.

Qu’importent ces indignations au Moloch capitaliste, assoiffé de dividendes !

Chacun comprend que la bataille est proche, d’autant que les ruraux de l’Assemblée et le haut commandement ne dissimulent plus leurs intentions d’en finir avec Paris, et, aussi, avec la République.

La lecture des journaux conservateurs (!) surchauffait les esprits. Les gardes nationaux y étaient surtout pris à partie par des aménités de ce genre :

« En finira-t-on avec ces fainéants, ces ivrognes qui encombrent et déshonorent nos rues ? A quand le désarmement de ces braillards, de ces guerre-à-outrance, de ces trente-sous ?… »

C’est une réédition des injures et des provocations qui précédèrent les journées de juin 1848. Comme alors, on rêve l’extermination des prolétaires républicains et socialistes.

En prévision du nouveau crime qui se préparait, il convenait d’aviser au plus tôt, de devancer l’ennemi par un coup d’audace.

Oui, mais comment le tenter avec un peuple oublieux des leçons du passé et attendant, une fois encore, d’avoir le couteau sur la gorge pour songer à se défendre. Toujours hésitant, inorganisé, incapable d’initiative hardie, il a le pressentiment du péril qui le menace, mais il