— Bonjour, Allemane, me dit le bourreau.
— Bonjour, Ledoux, répondis-je.
— Eh bien ! êtes-vous content de travailler ici ?
— Mais oui ; j’y suis tranquille ; personne no me cherche de raisons et je m’intéresse à ce que je fais.
Tout en parlant, nos regards se rencontrèrent, et les miens étaient vraiment interrogateurs ; mais Devos, flairant une aubaine, semblait nous épier. Ledoux reprit :
— Je viens, dit-il, demander à Devos un cent de choux cœur-de-bœuf pour le jardin dont vous avez bêché une partie. Je les voudrais repiquer aujourd’hui même.
— Il doit être facile de vous donner satisfaction, car il y en a plusieurs planches…
— Allez chercher ce cent de choux, et choisissez les plants les plus beaux, me dit le contremaître.
— Peut-être feriez-vous mieux d’aller les choisir vous-même, observa Ledoux.
Mais Devos entendait ne pas me laisser seul avec le bourreau, qu’il croyait nanti d’une bouteille de tafia.
— Inutile ; Allemane sait bien où se trouvent les plants, et il saura choisir les plus beaux, dit Devos.
J’aurais volontiers étranglé l’empêcheur, mais je compris qu’il fallait céder au plus vite, afin de ne pas compliquer la situation et gagner du temps.
— Je vais, de ce pas, vous chercher ce que vous désirez, dis-je au bourreau, et je me dirigeai vers l’endroit où ledit plant se trouvait.
Pendant que je complétais le nombre de plants demandés, Ledoux s’avança de mon côté, mais l’assoiffé contre-maître s’attacha à ses pas. Ledoux me semblait impatienté par cette insistance, mais je l’étais sûrement beaucoup p us que lui. J’aurais voulu que cet animal de Devos fût au diable. Au lieu de partir, il vint près de moi et se mit à arracher des plants ; m’enleva ensuite ceux déjà arrachés par moi et, les unissant aux siens, dit au bourreau :
— Tenez, Ledoux ; voilà votre affaire : il y en a plus de cent et des beaux !
Le bourreau parut hésiter un instant avant de gagner le Pénitencier. Devos attendait, se demandant si Ledoux
