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des barricades au bagne

des marins du stationnaire, au personnel du sémaphore, comme aux surveillants. Nous comptions que la nuit nous serait plus propice ; tout d’abord, en nous accordant un plus long temps pour gagner la passe et la haute mer ; ensuite, en masquant des fausses manœuvres que nous considérions comme inévitables, étant donnée notre incapacité en pareille matière.

Cette attente forcée nous fut fatale.

Le palétuvier produit un fruit qui, s’il présente des dangers comme aliment, peut être utilisé pour la teinture. Or, un libéré que le chômage avait mis dans l’obligation de rentrer à la Ferme-Nord [1] et exerçait le métier de teinturier, recherchait ce fruit, lequel, en attendant mieux, lui permettait de teindre certaines étoffes que lui confiaient les femmes des surveillants habitant l’île Nou et certaines personnes de Nouméa.

Notre mauvaise étoile voulut que cet individu s’approchât des palétuviers qui masquaient le côtre et, malgré les précautions que nous avions prises de le couvrir de branchages et de coucher son mât et ses vergues sur son pont, la marée, alors montante, provoquant un fort frôlement des branches coupées avec celles des palétuviers, ses yeux découvrirent le bateau et, tout naturellement, la pensée lui vint qu’une évasion allait avoir lieu.

Inquiet, le condamné aposté par nous pour veiller sur le côtre se glissa vers le libéré ; fut-il aperçu par ce dernier et celui-ci prit-il peur ? Je ne sais, mais on doit supposer que le quidam se tint ce raisonnement : qu’il y avait autant de danger à demeurer autour de ce côtre que de profit à donner l’éveil, en avisant de sa découverte le commandant du Pénitencier, surtout en se privant des intermédiaires, qui, toujours, bénéficient du travail des autres.

Et notre homme, prenant sa course, s’élança dans la direction du Pénitencier.

Dans l’impossibilité de lui barrer la route, car il ne pouvait supposer que le libéré prendrait une telle dé-

  1. Actuellement, les libérés atteints par le chômage rentrent à l’île des Pins, située à 88 kilomètres de Nouméa et qui, à l’heure où se déroulaient ces événements, servait de lieu de déportation à près de 5.000 fédérés.