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des barricades au bagne

doute, mais l’histoire est remplie de ces folies, et combien d’événements d’une portée considérable ont eu pour origine des gestes aussi fous, peut-être même plus fous encore que celui que nous nous proposions d’accomplir.

Au fond, que risquions-nous ? L’arrestation, la mort ? Eh bien, mais n’était-ce pas là le sort réservé à la plupart des révoltés du 18 Mars ?

Venu à Versailles en révolutionnaire isolé, j’avais maintenant des complices résolus : les typographes et marins gagnés à la cause communaliste pouvaient assurer l’entrée du château aux hommes que Billioray allait nous envoyer ; mes nouveaux amis paraissaient même plus pressés que moi d’en finir. Voulant mettre à l’épreuve une aussi belle ardeur et, aussi, pour connaître la nature de leur résolution, je leur proposai d’enclouer quelques-unes des pièces qui se trouvaient sur la grand’place et qui n’étaient que très imparfaitement gardées. Ils acceptèrent et convinrent que l’opération se ferait dans la nuit.

A trois heures du matin, le 25 mars, neuf pièces de canon se trouvèrent enclouées sans coup férir : profitant du brouillard qui couvrait la ville, les camarades s’étaient glissés dans le petit parc d’artillerie placé devant le château et avaient impunément accompli leur besogne.

Ce trait d’audace fera comprendre quels hommes énergiques j’avais eu le bonheur de grouper et expliquera ma confiance en une issue heureuse.

Tout en gardant le silence le plus absolu sur cette fâcheuse aventure, l’autorité militaire fit doubler la garde auprès des canons ; on y mit des sergents de ville et des fantassins de marine. Quant à la police, elle était affolée et ne savait où donner de la tète, au milieu d’une population absolument disparate, s’augmentant chaque jour dans des proportions énormes, sans parler des milliers de femmes de gardes municipaux, de sergents de ville, d’agents et de gendarmes, qui se chargeaient de coopérer au désarroi général.

À cette peu sympathique cohorte venaient s’adjoindre celle des rastas et des prostituées, adjuvants naturels de la société capitaliste. Avec les gens de finance, de robe et d’épée qui se hâtaient de déserter Paris, la collection parasitaire se trouvait complétée.