Page:Anatole France - La Révolte des anges.djvu/72

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dans tous ses mouvements et jusque dans ses pensées. Mignon était un être prodigieux, doué de facultés que la nature dénie à tous les autres hommes. Il ne mangeait ni ne dormait : à toute heure du jour et de la nuit, par le vent et sous la pluie, on le retrouvait devant l’hôtel et nul n’échappait au radium de son regard. On se sentait percé de part en part et les os mis à découvert, pis que nu, squelette. C’était l’affaire d’une seconde ; l’agent ne s’arrêtait même pas et poursuivait sa promenade sempiternelle. On n’y pouvait tenir. Le jeune Maurice menaçait de ne plus rentrer sous le toit paternel si l’on y était ainsi radiographié. Sa mère et sa sœur Berthe se plaignaient de ce regard pénétrant qui offensait la chaste modestie de leur âme. Mademoiselle Caporal, gouvernante du jeune Léon d’Esparvieu, en éprouvait une gêne indicible. M. René d’Esparvieu, excédé, ne franchissait plus son propre seuil sans renfoncer son chapeau sur ses yeux, pour éviter le rayon investigateur, et sans envoyer au diable le père Sariette, principe et cause de tout le mal. Les familiers de la maison, tels que l’abbé Patouille et l’oncle Gaétan, se faisaient