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passionné, c’est-à-dire qu’il s’adresse à notre vouloir. Et même la connaissance rationnelle, qui va de rapport en rapport, ne se mettrait pas en mouvement, si elle n’était poussée par la volonté.

2o Parmi les groupes de phénomènes que nous observons, il y en a un qui nous attache d’un intérêt particulier : c’est notre corps. Ce qui s’y passe ne s’écoule pas sous notre regard, comme une fuite quelconque de faits liés par le lien de causalité. Nous avons de lui un vivant sentiment. Nous affirmons avec certitude que ses mouvements ne sont pas simplement accompagnés d’une conscience qui en serait le témoin impuissant et trompé. Quand nous voulons ces mouvements avec conscience, nous sommes sûrs de les produire. Voilà le fait philosophique par excellence. Il y a une série de phénomènes que nous n’apercevons pas seulement du dehors, dans l’espace et dans le temps où ils s’enchaînent, mais du dedans, et par la puissance vivante qui les meut, et qui est un vouloir. Par extension, nous conclurons que non seulement les mouvements réflexes, mais ceux qui sont tout à fait inconscients, sont, eux aussi, dus à une volonté, bien qu’elle ne se connaisse pas. Nous posons dès lors cette affirmation : toute représentation n’est que la face externe d’un fait plus profond qui est un vouloir. Une intuition immédiate a déposé au fond de nous cette connaissance irrationnelle, et en la généralisant nous obtenons la loi de l’être[1]. Le monde est représentation et volonté.

Nietzsche est saisi fortement de cette pensée. Il ne lui parait pas certain pourtant qu’elle remplisse l’office pour lequel elle a été créée. Il faut une communication entre le


  1. Schopenhauer, Welt als Wille, livre II, ch. xviii (II, 227) ; ch. xxii — xxiv (II, 337-74). Ueber den Satz vom Grunde, § 43 (III, 161-162) ; — Parerga, Vereinzelte Gedanken, chap. vi, § 74 (V, 120).