Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la morale et surtout la façon de sentir d’aujourd’hui. Notre pruderie n’a pas la plus petite idée de la civilisation qui a régné à Rome et à Naples en un temps qui ignorait la vanité, le qu’en dira-t-on où l’on ne mettait pas plus d’importance à donner qu’à recevoir la mort, et où la vie toute seule « séparée des choses qui la rendent heureuse », n’était pas estimée une propriété de tant de prix[1]. Car avant de plaindre l’homme qui la perdait, on examinait le degré de bonheur dont cet homme avait joui ; et les hommes, après cinq siècles, restent encore éblouis des formes de bonheur que ces Italiens de 1300 à 1530 ont créées. Leur bonheur était fait de ce qui nous est le plus antipathique, l’énergie passionnée. Or, c’est de ces hommes-là que Nietzsche a dit depuis :

Les hommes du moyen-âge que rien ne ployait, nous mépriseraient. Nous sommes au-dessous de leur goût[2].

Mais de quelle source avait jailli cette énergie ? Tout Jacob Burckhardt dérivera de l’enseignement donné ici par Stendhal. Une vie pleine de dangers faisait de chacune de ces républiques italiennes de la Renaissance un foyer de passion et de génie :

En Italie, tous les caractères, tous les esprits actifs étaient infailliblement entraînés à se disputer le pouvoir ; cette jouissance délicieuse est peut-être au-dessus de toutes les autres[3].

Pas une propriété, pas une liberté, pas même la sûreté des personnes qui ne fût menacée chaque jour. À chaque révolution d’une ville, la volonté du vainqueur réglait tous les droits et tous les devoirs. Dans ce remous permanent

  1. Corr. inéd., I, pp. 163, 164.
  2. Nietzsche, Fröhliche Wissensckaft, posth., § 425. {W., XII, 200.)
  3. Corr. inéd., I, pp. 47, 48.