Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/253

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naturel, la bonhomie, la candeur passionnée, ajoutent une parure à toutes les actions d’un homme.

Le grand art d’être heureux est mis en pratique, avec ce charme de plus que ces bonnes gens ne savent pas que ce soit un art, et le plus difficile de tous[1].

Et que dire des femmes, incomprises de tous nos voyageurs, âmes de feu, où il n’y a point de gêne, point de contrainte ; dont chacune a des manières à elle, des idées à elle, des discours à elle, une façon naïve et folle d’aimer, étrangère à la vertu et même à la décence, mais toute sincère, désintéressée et droite[2] ? Stendhal a semé dans ses recueils des histoires d’héroïnes italiennes, tragiques et fières comme leurs aïeules du XVIe siècle, et telles que « si on fouillait toutes les femmes à sentiment de Paris et de Londres, on n’en tirerait pas un caractère de cette profondeur et de cette énergie »[3]. Un sentiment pareil a fait admirer à Nietzsche dans l’Espagnole Carmen « une sensibilité plus méridionale, plus brune, plus hâlée… l’amour fatalité, cynique, innocent, cruel — et par là redevenu nature »[4] ; et, comme Stendhal, malgré le sang mêlé à la volupté, il trouve enviables ces hommes du Midi qui, le soir, arrivent chez leur maîtresse « avec une âme vierge d’émotion »[5].

C’est aussi pourquoi les accusations de Stendhal contre la France de son temps ont laissé leur trace dans le réquisitoire de Nietzsche contre la modernité, dont les Français sont les principaux, sinon les seuls représentants.

Au moyen-âge, en France aussi, le danger trempait les cœurs. Les dangers du XIIIe siècle nous ont valu les grands

  1. Rome, Naples et Florence, pp. 23, 85, 99, 293.
  2. Promenades dans Rome, II, p. 411. — Corr. inéd., I, p. 153 ; II, p. 222.
  3. Rome, Naples et Florence, p. 247 ; et Ibid., pp. 125, 145, 160. — Promenades, t. II, p. 1-17.
  4. Nietzsche, Der Fall Wagner. [W., VIII, 9.)
  5. Promenades dans Rome, II, p. 61.