Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, II.djvu/86

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conjecture métrique permet de rétablir, avec une strophe mutilée, une antistrophe et une épode parfaites, d’où s’élève la plainte tendre de l’amante abandonnée de Zeus. La restitution nietzschéenne de cette plainte de Danaé pleurant sur son deuil et sur cet enfant qu’il lui faut sauver des flots, en l’enfermant dans un ciste garni de clous d’airain, a été admise par la science immédiatement.

Ritschl suivait ces essais, avec un machiavélisme affectueux. Il devinait que des travaux sur Suidas et sur Aristote pousseraient Nietzsche vers cette brûlante question des sources de Diogène Laërce, le plus important biographe des philosophes grecs. Il le pressentait doucement sur ce projet. Tout à coup l’Université proposa la question comme sujet de concours. Nietzsche sentit là la main du maître, et il accepta l’invite discrète. De janvier à juillet 1867, ses jours et ses nuits se passèrent à compulser, à classer, à analyser les documents de son difficile problème.

Le mois d’avril le trouve prêt à la rédaction. Il la veut sobre, mais un peu artiste. Il ne fera nullement parade d’érudition ; mais il recouvrira désormais le squelette logique, si apparent encore dans la prose de son Théognis[1] . Il aboutit bien juste, et au 1er août déposa un manuscrit avec la devise : Γένοι’ οἶος ἐσσί[2] . Mots de Pindare, qui ne cesseront plus de lui être chers. « Du sollst der werden, der du bist » : le Gai Savoir et l’Ecce Homo ne connaîtront pas d’autre précepte moral[3]. En tête de ce mémoire érudit, l’orgueilleuse profession de foi semblait dire que tous les chemins, même à travers la broussaille philologique, nous mènent à la découverte

  1. P. Deussen, Erinnerungen. p. 34. — Corr., I, 73.
  2. Pindare, Pyth., II, p. 73. — Corr., I, 77, 87.
  3. Fröhl. Wissenschaft., § 270 (V, 205).