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DÉCOUVERTE DE SCHOPENHAUER

rait cette ambition confuse. Schopenhauer lui apprit que l’univers entier est ainsi aspiration trouble et que sur son besoin se construit son intelligence. Pour pénétrer jusqu’au secret des mondes, il lui avait suffi de regarder en lui-même. Schopenhauer était le prodigieux appareil d’optique qui éclairait jusqu’aux abîmes où reposent les assises de toute vie spirituelle. Non seulement il montrait à Nietzsche son mal, en lui faisant voir que ce mal était nécessaire et universel, mais il justifiait le sentiment qu’il avait de la vie. Il le grisait de la grande émotion mystique des hommes qui savent les derniers secrets. Il faut lire profondément entre les lignes de la confession, où Nietzsche nous dit cette crise de désespoir et d’ambition[1]. Il n’y a qu’une consolation pour celui qui souffre de cette grande douleur qui engendre les êtres : c’est d’être capable à son tour de créer, d’enfanter des images qui fascinent divinement les hommes et les forment à leur modèle. Cette très évidente conclusion avait poussé Richard Wagner vers Schopenhauer. Vers qui poussera-t-elle Nietzsche ? Elle le remplit de la sournoise et enthousiaste attente des hommes qui se sentent prédestinés.

Il n’y eut pas de précepte de méthode qu’il n’oubliât dans cette certitude nouvelle. Dès la deuxième année de son séjour, il se risque à demander son doctorat. Infidèle à Ritschl, à l’hellénisme, à la philologie, ivre de métaphysique, il dépose une thèse sur Les schèmes fondamentaux de la Représentation qui résume ses récentes études schopenhauériennes. Elle fut refusée. Nietzsche maudit ses juges. Faut-il le croire sur parole quand il déclare que l’un d’eux avait écarté son travail parce qu’il soutenait des idées qu’on n’enseignait pas à

  1. E. Foerster, Biogr., I, p. 232.