Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/133

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cation. Sinon, le malheur de la Grèce pourrait atteindre la Germanie nouvelle.

Les réformateurs n’ont pas manqué à la Grèce ; mais les Grecs ont manqué à leurs grands réformateurs. Le peuple grec a vécu dans une fièvre trop passionnée et dans une trop vive effervescence de l’esprit. Son développement trop soudain lui a été funeste : Ach ! die Griechen liefen zu rasch ! [1]. Pas de plus grand malheur pour un peuple qu’une trop grande richesse de dons. Une moisson infinie d’humanité supérieure se perdit, quand furent gaspillées les chances d’une réforme grecque. Ainsi de certaines civilisations, à peine épanouies, sont saisies comme d’une gelée qui brûle les promesses en fleur. La Grèce ne s’est jamais relevée de sa victoire sur les Perses. La victoire, trop complète, déchaîna l’ὕϐρις (hubris) grecque. La tyrannique et sanguinaire ambition, où Jacob Burckhardt avait vu le fond du caractère hellénique, reparut dans les hommes et dans la cité. Ce sont là des dangers dont il faut avoir peur, car ils pourraient menacer notre société actuelle.

Le malheur des Grecs est venu de ce qu’une seule ville, d’une furieuse ambition, les a dominés. Du coup, l’idée d’une fédération hellénique proposée par les philosophes se trouva irréalisable. La splendeur des victoires médiques, en établissant la suprématie athénienne, étouffa les plus belles possibilités de la vie grecque. Les gouvernants choisirent la méthode tyrannique. Alors ce furent les guerres sans fin allumées par les rivalités féroces. Mais le mal fait à l’esprit grec fut pire. Athènes qui prévalut, est, selon Nietzsche, stérile à la fois d’esprit philosophique et de lyrisme. Les grands Présocratiques ne sont pas Athéniens ; et Pindare n’eût pas été

  1. Philosophenbuch, 1875, § 199. (W., X, 231.)