Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/138

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raison sur l’esprit traditionnel et mythologique, n’est-elle pas un processus naturel et proprement grec ? N’a-t-elle pas été une réaction naturelle contre la culture trop purement esthétique de l’ancien hellénisme [1] ? Cette ivresse de la science que Nietzsche a admirée dans Démocrite, ne se retrouve-t-elle pas dans le candide enthousiasme qui induit Socrate à tenir la science pour une panacée morale ? Et la réforme panhelléniqne était-elle moins intéressée à épurer nos idées sur la conduite humaine qu’à rectifier notre idée des lois naturelles [2] ?

Souvenons-nous ici que Rohde avait coutume de faire une grande distinction entre les philosophies de l’homme, pour qui le principe explicatif des choses est la pensée ; et les philosophies de l’univers, pour qui la pensée est une fleur tardive [3]. Or le lyrisme de Nietzsche déborde sur l’univers, quand la philosophie de Socrate semble n’avoir souci que des hommes. Nietzsche est plus tard revenu de cette juvénile arrogance. L’anthropomorphisme, dont ne se passe point le mysticisme des Ioniens eux-mêmes, suppose une notion de l’âme humaine ; et il était dans la logique des choses que cette notion s’éclaircît. Faut-il dire maintenant que la philosophie du savoir pratique, c’est-à-dire le socratisme, ait enrayé le développement des sciences exactes ? Nietzsche élève cette objection [4] ; et il se trompe. Car nous ne savons rien de l’attitude de Socrate devant les sciences naturelles. Nous savons seulement qu’il a constaté les conflits où étaient engagés les physiciens ; et il en a

  1. Sur tous ces points v. Wilhelm Nestlé, Friedrich Nietzsche und die griechische Philosophie. (Neue Jahrbücher für d. klass. Altertum, 1912, p. 553-584.)
  2. Nietzsche l’a vu depuis. Die vorplatonischen Philosophen, § 17 (Philologica. III, 231).
  3. Rohde, Cogitata, § 4 et notre Jeunesse de Nietzsche, p. 163.
  4. Philologica, III, 226.