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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/143

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dans les forces naturelles des analogies avec l’homme, la pensée prépare la mainmise de l’homme sur l’univers [1]. La philosophie fait donc une sélection mentale parmi les représentations capables de diriger utilement notre activité. Ce travail de l’esprit, à l’origine, ne s’accompagne pas de conscience. La force et la noblesse de notre tempérament, l’impétuosité d’une préoccupation pratique dictent notre choix [2]. La réflexion suit et pénètre les affirmations vigoureusement posées par une énergie native. Faute de quoi nous sommes atteints de la « maladie scientifique ». Cette manie de muser avec un égal intérêt parmi des objets insignifiants est signe de lassitude et de désintégration [3]. Sans doute, Nietzsche rendra plus complètement justice, après 1876, à tout ce que la science contient d’énergie aventureuse et exploratrice. L’énergie toutefois qui la pousse n’est pas elle-même scientifique.

L’instinct et l’activité des Grecs ont été artistes. C’est pourquoi leur pensée ne procède pas par détails méticuleux, mais par choix larges, par généralisations plastiques. Leurs systèmes philosophiques ordonnent d’une façon belle nos pensées et nos actes. Ce sont des métaphores inventées pour créer l’unité harmonieuse de l’esprit et de la cité. Il ne s’agit pas de tout savoir, mais de savoir ce qui importe à la vie. Et il y a des bornes au savoir. Tout essai de réaliser la science intégrale se heurtera toujours à une limite. Quelque part, la clarté logique se fond dans l’ombre ambiante [4]. On peut dire que l’ensemble de toutes les recherches causales, dans l’histoire ou dans

  1. Philosophenbuch, § 60, 103, 150. (W., X, 133, 153, 172.) — Ueber Wahrheit und Lüge. (W., X, 199.)
  2. Ibid., § 116. (W., X, 157.)
  3. Philosophenbuch, Fortsetzung, § 25. (W., X, 113.)
  4. Geburt der Tragödie, § 15. (W., I, 108.)