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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/165

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qu’elle touche, et qu’il n’avait pas sentie en Parménide, est vivante en Nietzsche :


Toute évidence susceptible d’être niée, mérite d’être niée. Être véridique, c’est croire en une existence qui ne comporte en aucune façon de négation, et qui est elle-même vraie et sans mensonge [1].


Où prend-il le droit à cette mystique cruauté ? Dans le prix qu’elle lui coûte. À ce besoin de justice et de rigueur intellectuelle, il a tout perdu ; les douceurs de la vie, l’approbation des hommes et jusqu’à leur équité. Pour quelles fins consommer cet holocauste de lui-même ? Schopenhauer sait que ce sacrifice est vain ; et c’est là, pour lui, ce qui en fait l’héroïsme. Nietzsche le croit utile toujours, et, fût-il mortel pour l’individu, ce lui serait une raison nouvelle de l’exiger. Schopenhauer et Nietzsche nous prescrivent de courir ce risque. L’enjeu en vaut la peine. Mais la nature de cet enjeu est-elle la même chez l’un et chez l’autre ?

1o Il s’agit de conquérir notre moi, notre personnalité, dit Nietzsche, qui croit ainsi interpréter Schopenhauer. Car ni le sentiment rousseauiste de la nature, ni la contemplation gœthéenne ne nous assurent ce qui nous fait nous-mêmes. Gœthe et Rousseau se laissent encore prendre aux chimères émouvantes ou belles, où se disperse l’âme au lieu de se ressaisir. Il faut détruire tout devenir, et par delà les apparences fugaces, chercher ce qui nous enracine dans l’être éternel [2].

Or songeons à la position désespérée de ce problème dans la philosophie de Schopenhauer, Que peut être une conscience personnelle, une volonté, un moi, si tous les êtres se réduisent à un unique vouloir, et si la distinction

  1. Schopenhauer als Erzieher, § 4. (W., I, 428.)
  2. Ibid., § 4. (W.,, 431.)