Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/174

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détourne du réel. Elle est méditation de la mort. Elle fait de la réforme philosophique une initiation aux mystères souterrains. C’est ce pythagorisme religieux que Nietzsche répudiera dans Platon, parce qu’il a souffert de cet enivrement de la mort dans deux de ses formes les plus empoisonnées : le christianisme et la doctrine de Schopenhauer qui l’achève.

Il subsiste de Platon, quand on le débarrasse de cette théorie des réalités supraterrestres, son phénoménisme et son rationalisme. Il reste l’obligation de concilier, en morale, le relativisme héraclitéen des sophistes avec la doctrine socratique des notions éternelles. Difficulté que Nietzsche ne put résoudre de la façon platonicienne. Mais il prit à Platon la position des questions, sa méthode et l’idée de sa réforme philosophique.

Les sophistes comparent les coutumes (νόμοι) des peuples et en tirent des conclusions sur la relativité des notions morales. Pour ces réalistes redoutables, il n’y a pas d’autre règle des mœurs que la pratique positive investie de la force et sanctionnée par l’usage. Mais comment se détermine le contenu de la morale courante ? Faut-il penser, avec le Thrasymaque de la République, que les gouvernants, ayant la force, font toujours des lois à leur avantage ; que la morale est nécessairement une tyrannie exercée sur les faibles par les forts [1] ? Mais qui donc est le plus fort ? Ceux qui légifèrent, dit Calliclès dans le Gorgias, ce sont les faibles coalisés, c’est le troupeau. Ils font les lois qui leur sont fructueuses et, en s’unissant, empêchent les forts de poursuivre l’avantage qui leur reviendrait par leur force individuelle. C’est sans doute trop dire ; mais les sophistes ont vu une réalité sociologique profonde qui rejoint le transformisme des modernes. Ce qui est

  1. Platon, République, 343, C ; 344, C ; 359, C.