Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/185

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au-dessus de la psychologie purement empiriste d’un Taine.

Pour Nietzsche, en effet, on n’a rien expliqué en disant que la répétition des mêmes réflexes engendre les mêmes images. Car la répétition est un fait qui se passe dans le temps, c’est-à-dire qui n’existe pas en dehors de la mémoire. La mémoire est en dehors du temps et peut-être dépasse-t-elle l’individu. Nous portons sans doute en nous la mémoire de tous nos aïeux. Mais il ne s’ensuit pas que la mémoire réelle se traduise toujours en images conscientes. Ce qu’on remarque, c’est que de certaines excitations, toujours les mêmes, produisent en nous toujours la même réaction. Voilà où il apparaît que la mémoire est notre faculté non seulement intellectuelle, mais organique première. Comment l’organisme, inconsciemment, choisirait-il de réagir d’une façon identique, s’il n’avait appris cette réaction et s’il ne s’en souvenait [1] ?

Mais il faut faire ici un pas de plus et faire servir à la psychologie la théorie de la sélection naturelle. L’organisme a appris ses réactions, et il s’en souvient, parce qu’elles lui sont nécessaires pour se défendre de la douleur et pour se procurer des joies. Douleur et joie, voilà ce qui apparaît au plus profond de nous-mêmes. De toutes les thèses de Zoellner [2], celle que Nietzsche a le mieux retenue, c’est que nous sommes un tissu complexe, un subtil équilibre d’émotions. C’est ce complexus que nous pouvons appeler volonté. La mémoire est un appareil que la volonté s’est donné pour passer au crible les sollicitations qui lui viennent du dehors, pour choisir celles qui lui procurent des émotions joyeuses et pour se garer de la douleur. C’est s’adapter au monde extérieur

  1. Ibid., § 97. (W., X, 151.)
  2. V. La Jeunesse de Nietzsche, p. 315 : Zoellner.