Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/186

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inconnu que de se souvenir. Voilà pourquoi Nietzsche dira que les formes du temps, de l’espace, de la causalité, sans lesquelles il n’y a pas de souvenir, relèvent de la volonté et non pas, comme le croyait Kant, de l’intelligence [1]. Or, il est possible de tirer de là une conclusion. Si l’expérience montre que ces façons de voir servent à orienter utilement notre activité, elles doivent donc correspondre à la nature réelle de la matière, même si elles ne la révèlent pas. Certes, nous ne percevons des choses que l’excitation nerveuse qu’elles nous causent. Pourtant cette trace qu’elles laissent dans notre système nerveux n’en est-elle pas comme un décalque superficiel et symbolique ? Entre le son et les figures régulières que produit l’ondulation acoustique sur une surface vibrante couverte de sable, il n’y a pas de ressemblance, mais il y a un rapport, puisque les mêmes figures reviennent régulièrement. La décomposition que produit la lumière sur de certaines substances chimiques nous semble reproduire les linéaments que perçoit l’œil humain : Il y a donc un rapport entre la cause excitante inconnue et ces effets chimiques semblables. Ainsi, chacune des excitations nerveuses que laisse une cause extérieure est en rapport avec des qualités vraies. Les qualités objectives, acoustiques, visuelles, tactiles que nous percevons, ne sont que l’expression, en des langages différents, d’une même réalité. Ces langages peuvent se traduire l’un par l’autre. Ils peuvent être la métaphore l’un de l’autre. Il y a des hommes à qui le son suggère une odeur ou une image lumineuse [2].

Entre notre organisme inconnu, traversé de vibrations délicates que nous appelons des émotions, et les sys-

  1. Die Tragödie und die Freigeister, § 64. (W., IX, 107.)
  2. Philosophenbuch, § 148. (W., X, 170.)