Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/209

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ascètes. Elle n’est qu’une vue provisoire que leur suggère la beauté de leur attitude. Il n’y a donc de chance de la remplacer par une révélation directe que par la beauté. C’est à l’illusionniste pur, à l’artiste seul, qu’il faut demander la vérité sur la constitution de l’univers.


III. — L’illusion de l’art.


Nietzsche nous a montré comment dans l’esprit conscient viventet luttent deux tendances profondes : l’instinct imagé et métaphorique et l’instinct verbal et métonymique. Le premier est seul actif dans le rêve. À l’état de veille, il plie devant les nécessités de l’action. Mais si la force des images subit une incessante réduction ; si la vie imaginative est garrottée par l’entrave du langage, de la logique, de la science, il ne s’ensuit pas qu’elle meure, et qu’elle n’exige pas ses droits. On ne détruit pas un des instincts les plus vigoureux de la nature humaine ; et on n’a pas le droit, quand on en aurait la possibilité, de le mutiler. Il faut comprendre cette théorie du transformisme mental et ce conflit des instincts intérieurs dans Nietzsche. Il a pensé que toute la destinée de la civilisation en dépendait ; et toute son évolution personnelle est déterminée par l’idée qu’il s’est faite de ce transformisme.

1. L’état d’esprit mythologique. — Il n’est pas indifférent, pensait Nietzsche, que la mentalité de l’homme soit l’effet d’une mutilation de l’esprit et consiste en une réduction oppressive d’un de nos instincts essentiels. La faculté qu’il a fallu réprimer, pour des raisons pratiques, est la faculté des images. Aucun peuple moderne ne peut revivre le rêve éveillé des Grecs. Mais il serait désastreux qu’un peuple vécût de la pure pensée abstraite. C’est là la grande décadence socratique, et dans la joie de Démocrite au sujet