Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/222

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gestes qui préméditent la beauté. L’animal va au delà : il a plaisir à cette beauté végétale et en sent la vie heureuse. L’univers, dont l’homme a tant à souffrir, témoigne cependant d’une telle profusion de vie qu’il nous faut admirer la gesticulation puissante avec laquelle son existence s’étale au soleil. Mais l’homme, à son tour, à qui paraîtra-t-il beau ? Avant tout il voudra plaire à une conscience placée au-dessus de lui. C’est pour un esprit par delà l’humanité qu’il construit instinctivement dans son for intérieur des images embellies de lui-même et qu’il les réalise ensuite au dehors. Cette profusion de vie créatrice éclate dans les corolles imagées de l’art ; et la tleur de la beauté humaine éclôt sur une tige qui s’appelle le génie.

Nietzsche déduit de là que l’enfantement du génie est la fin unique de l’espèce humaine. Une humanité plus haute est déjà présente en nous ; et nous la couvons de notre tendresse, quand nous réalisons l’œuvre d’art. Être artiste, c’est aimer par delà l’humanité [1]. Mais cette élite surhumaine, Nietzsche, dans sa période schopenhauérienne, ne lui connaît qu’un nom : ce sont les hommes de génie. La sainteté est une forme du génie déjà, puisqu’elle consiste à apercevoir l’humanité tout entière sous un aspect qui l’unifie, et qui est la pitié pour l’universelle souffrance humaine. Cette découverte permettra de justifier ce qui, dans l’analyse de la connaissance et de la morale, était resté aperçu provisoire.

Il n’était pas certain qu’il y eût de l’esprit et du vouloir en toutes choses, et jusque dans le moindre atome ; et il n’était pas sur que ce vouloir fût unique. On pouvait

  1. Wir Philologen, § 284. (W., X, 418) : « Religion ist Liebe über uns hinaus. Das Kunstwerk ist Abbild einer solchen Liebe über sich hinaus, und ein vollkommenes. »