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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/260

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nions étrangères, de formes convenues, quand, seuls, ils avaient qualité pour fixer les opinions et les formes. Cela est pis qu’une cruauté, puisque c’est une sottise. Un vivant qui se crèverait les yeux ne commettrait pas une plus imprudente folie qu’une société qui se prive du regard des génies. Aucune métaphore de mutilation volontaire ou d’infection organique n’est trop forte pour décrire cet affaiblissement du sens vital. Le philistinisme intellectuel est « l’obstacle de tous les forts, l’entrave de tous ceux qui prennent l’essor, le miasme empoisonné qui tue les germes jeunes, le désert desséchant où périt l’esprit qui cherche une vie nouvelle » [1]. Mais aucune brousse n’est plus désespérée, plus marécageuse et pleine de ronces, que l’inculture allemande. Car l’Allemagne est inhospitalière, non pas comme les autres peuples, par ignorance ; elle l’est par suractivité pédantesque et par cette présomption qui étale une fausse culture plus destructive que l’indifférence.

Et quel remède ? La société présente dispose de ressources matérielles et intellectuelles en foule. Elle amoncelle des richesses sans nombre. Elle accomplit des prodiges de science. Elle a créé un État plus fortement outillé et plus redoutable qu’aucune époque antérieure. La vie instinctive et la vie consciente ont produit, par une sélection vigoureuse, ces trois organismes géants : l’État, le capitalisme, la science. Ne sont-ils pas désignés pour servir la civilisation nouvelle ? Or, Nietzsche, résumant dans sa pensée les services qu’ils étaient appelés à rendre, croit constater à la fois la faillite de l’État présent, la faillite du régime social présent, la faillite de la science présente.

  1. Strauss, der Bekenner, § 2. (W., I, 188.)