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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/263

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organisme à demi végétal et animal à demi, dont la croissance tend tout entière vers cette fleur immatérielle qui est le génie [1]. Ainsi de tout État. Son écorce rude protège une croissance qui aboutit à un épanouissement de délicatesse. Ce qu’on appelle l’utilité générale ne saurait se définir que par la possibilité donnée à quelques âmes de fleurir en pures corolles. Il faut, dans les profondeurs, des séries de cellules, des filaments, des tissus voués au travail obscur qui canalise les sèves. À la cime, il y aura d’inutiles pétales glorieusement étalés, mais ils nous consoleront de tous ces efforts invisibles, et aussi de tout ce que la nature étouffe et gaspille de germes [2]. Les Grecs l’ont bien vu, chez qui toute l’éducation donnée par l’État a en vue une jouissance d’art, et chez qui toute la sauvage rivalité des cités, des classes sociales et des individus a pour effet, et dès lors pour but, de susciter le génie.

En quoi donc l’État moderne, de souche si vigoureuse, est-il incapable d’un pareil épanouissement ? Voilà où Nietzsche prononce une condamnation sur laquelle il ne reviendra pas. C’est un signe de son éducation helvétique et burckhardtienne que son goût pour les civilisations citadines et cantonales. Les dimensions géographiques des grands États modernes sont pour lui un indice de « gigantisme » maladif, et non de force :


Comparé à Athènes, l’Empire universel des Romains n’est rien de grand. La force qui devait passer dans la fleur, à présent se répartit dans le feuillage et dans le tronc, atteint de pléthore [3].

  1. Ibid., § 10 W., IX, 156) : « Einen höchst künstlichen Mechanismus zwischen Thier und Pflanzenwelt. »
  2. Ibid., § 10 W., IX, 152, 157.) — Einzelne Gedanken, % 198. [W., IX, 261.)
  3. Einzelne Gedanken, § 196. (W., X, 260.)