Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/295

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mise en état des documents a exigé la spécialisation [1], un patient travail de fouille. Pour un temps, il a fallu des terrassiers, des charretiers, des restaurateurs capables de consciencieux nettoyages ; puis, des raccommodeurs à la main patiente et délicate [2]. Travail indispensable, puisque sans lui les monuments resteraient couverts de terre ou ensevelis — sous les barbarismes des copistes. Ces monuments, on a dû les restituer, non sans erreurs, dans leurs linéaments mêmes. Les équipes vouées à ces modestes besognes n’ont guère connu les joies de la contemplation artiste. La vie antique leur doit d’avoir été tirée, racine par racine, du bourbier où elle gisait. Mais cette peine d’érudition laisse aux philologues la tare du métier mesquin : le vague mécontentement attaché à une besogne sans gloire [3]. Les infirmités de l’historien professionnel se retrouvent chez le philologue, son confrère. La plus grande partie de ce travail, même correct, est gaspillée, puisqu’il est fait sans discernement et qu’il explore avec minutie des filons stériles [4]. Beaucoup n’ont jamais eu les qualités requises pour comprendre. Car ni le travail, ni l’intelhgence critique n’y suffisent. La beauté antique est rebelle. On n’en force pas l’accès. Elle parle à qui elle veut, et quand elle veut [5]. Il faut entendre par là que des siècles entiers ont été dénués du sens de l’antiquité. Et pendant les époques qui ont eu ce sens rare, il n’a pas été commun. Il faut de l’enthousiasme créateur, et le plus délicat senti-

  1. Wir Philologen, §§ 147, 148, posth. (W., X, 369.)
  2. Homer und die class. Philologie. Gedanken zur Einleitung. (W., IX, 25-29.) — Zukunfl uns. Bildungsanst., I. (W., IX, 225.) — Nutzen und Nachteil der Hist., § 6. (W., I, 337.)
  3. Nutzen und Nachteil. posth., §13. (W., X, 27.) — Wir Philologen, §§ 120, 156, 167, 193. (W., 353, 372, 376. 383.)
  4. Ibid., § 108. (W., X, 348.)
  5. Ibid., § 187. (W., X, 381.) « Das Altertum redet mit uns, wann es Lust hat, nicht wenn wir. »