Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/297

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c’est le savoir qui est fait pour nous [1]. Soyons d’abord des hommes, nous en serons de meilleurs humanistes. L’étude du passé exige une forte expérience acquise par la vie, et eflle ne sera fructueuse que le jour où nous aurons nous-mêmes dépassé l’antiquité. On ne peut juger que les choses que l’on domine du regard ; et le savoir n’est pur que le jour où il est en mesure non seulement d’expliquer, mais de juger [2]. Plus que jamais il est vrai de dire : Nur aus der höchsten Kraft der Gegenwart dürft ihr das Vergangene deuten [3]. Mais sans doute la comparaison avec l’antique nous permet à son tour déjuger le temps présent ; et, de la connaissance que nous en aurons acquise, nous tirerons une affirmation sur la valeur de notre vie [4].

Que nous apprend sur nous-mêmes l’antiquité grecque vue face à face ? On ne la comprenait pas à l’époque du pseudo-classicisme ; et nos humanistes ont achevé d’en oblitérer l’image. La bourgeoisie présente, dont ces humanistes sont les mandataires, s’effaroucherait de la terrifiante et immorale image de la Grèce vraie. Rien n’est « intempestif » et révolutionnaire comme cette Grèce, interprétée exactement. Notre premier soin, si nous voulons fonder une civilisation nouvelle, doit être de souligner cette hostilité [5] ; et de jeter à la tête de nos Philistins « la tête de Gorgone ». C’avait été le but de Nietzsche, quand il projetait son Livre des Grecs.

Mais en même temps, entre la vraie antiquité primitive et notre art ou notre philosophie supérieure, il apercevait une entente mystérieuse et nouvelle. Wagner et

  1. Wir Philologen § 120. (W., X, 332.) — Ibid., § 106. (W., X, 346, 347.)
  2. Ibid., § 268. (W., X, 409.)
  3. Nutzen und Nachteil der Historie, § 6. (W., I, 336.)
  4. Wir Philologen. § 108. (W., X, 348.)
  5. Ibid., §§ 119, 125, 129. (W., X, 332, 336, 361.)