CHAPITRE VI
LE BAYREUTH IDÉAL DE 1876
ietzsche doit clore la marche cyclique de son premier
système en glorifiant le projet de Bayreuth.
Il ne peut éluder cette obligation sans condamner
l’enthousiasme juvénile où s’est allumée la première
flamme de son génie. Bayreuth signifiait pour lui l’achèvement
de sa première philosophie, la synthèse de sa
philosophie et de sa pratique, le foyer de vie où l’humanité
viendrait puiser sa première initiation. Il serait le
plus haut Institut de la culture nouvelle de l’esprit. La
culture dispensée à Bayreuth se condenserait dans une
philosophie à la fois capable de symboliser le sens de
l’existence humaine et de guérir les maux de la cité.
Cette philosophie parlerait par des formes d’art qui nous
feraient vivre dans un rêve enivré. Ce qu’on n’avait jamais
vu depuis les Grecs, la Tragédie ressuscitée et fascinant
les foules ; le tragique message d’une philosophie qu’on
avait crue morte depuis Empédocle ; une nouvelle école
d’héroïsme, de sagesse, de sainteté, qui n’avait plus
existé depuis l’Académie de Platon : tout cela reparaîtrait
rajeuni dans la culture de Bayreuth. Ce fut là, du
moins, l’idéal de Nietzsche. Et, après le glissement de
son système, qui de sa métaphysique volontariste
faisait une métabiologie intellectualiste, Nietzsche n’avait
à ajouter que l’aveu de sa plus secrète ambition. La civi-