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Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/324

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qu’il conseille. Si l’on y regarde, toute la seconde philosophie de Nietzsche, celle qui glorifie l’intelligence ordonnatrice de la vie, se prépare dans cette IVe Intempestive sur Bayreuth. L’enseignement latent qui s’en dégage, c’est que les qualités supérieures de l’esprit se greffent sur une souche grossière, dont la sève donne de la résistance à leur fragilité et facilite la lente évolution qui les affine. Contre Wagner, cette ironie suffit, car il se tenait pour le génie inspiré divinement. La rupture entre les deux amis sera totale le jour où Nietzsche offrira à Wagner le livre des Choses humaines, trop humaines, où cette croyance est ruinée. Dans l’Intempestive sur Bayreuth, le génie se définit comme une plus profonde communion de notre esprit avec la vie universelle. Quelque chose du premier Wagner, du disciple de Feuerbach, reparaissait dans cette interprétation ; et la Tétralogie, toute gonflée du panthéisme naturiste de la philosophie feuerbachienne, passait au premier plan des prédilections nietzschéennes, non pas parce qu’on allait pour la première fois la jouer, mais pour cette chaleureuse et intelligente croyance en la liberté de l’esprit qui en émane.

Dans ce système déjà déhiscent de Nietzsche, qui laisse échapper de lui, comme une poignée de graines mûres, les vérités rationnelles de son transformisme à venir, Wagner sert de vivante illustration à ses affirmations. On y peut accéder par l’analyse de l’art wagnérien ; et, inversement, son exemple les confirme.

Sa « prodigieuse facilité à apprendre » ne saurait désormais lui être imputée à grief : Toute vie robuste se grossit des apports du dehors : « Von allen Seiten wächst es an ihn heran [1]. » Son universalité de goûts et de talents, qui faillit dégénérer en dilettantisme, n’est qu’une des

  1. Richard Wagner in Bayreuth, § 8. (W., I, 549.)